30-07-2020 11:54 - EXCLU - Corentin Martins : "Quand j'ai signé mon contrat, jamais je n’aurais pensé être encore en poste aujourd’hui"

EXCLU - Corentin Martins :

Onze Mondial - Actuellement sélectionneur de la Mauritanie, Corentin Martins est revenu pour Onze Mondial sur ses six années à la tête de l'équipe, les complications liées au Covid-19, le foot moderne, mais aussi les spécificités qui font la richesse du football africain.

Corentin, tu es en Mauritanie depuis 2014 désormais. Qu’est-ce que cela te fait de savoir que tu es le sélectionneur d’Afrique avec la plus longue longévité ?

C’est plein de choses. C’est une surprise et beaucoup de fierté aussi. C’est ma première expérience en Afrique, et c’est vrai qu’au début, quand je rencontre le président et que signe mon contrat, jamais je n’aurais pensé être encore en poste aujourd’hui.

Une fierté aussi parce qu’on a réalisé beaucoup de choses positives avec la sélection, que ce soit la première qualification pour une Coupe d’Afrique des Nations, ou ma bonne relation avec mes joueurs, mes dirigeants et de voir des joueurs qui s’exportent, ça c’est aussi une fierté pour nous.

C’est atypique sur un continent où l’instabilité règne. C’est quoi le secret de Corentin Martins ?

Je dirais déjà que j’ai un président qui est assez indépendant. C’est quelqu’un qui a du poids en Mauritanie mais aussi dans les instances. Il fait partie des membre exécutifs de la Confédération africaine de football (CAF). Puis même au niveau de la FIFA aussi, puisqu’en un an et demi, il a fait venir à trois reprises son président Gianni Infantino. Peu de présidents peuvent le faire. Les gens ont confiance en lui, il fait avancer le pays au niveau du football et c’est pour qu’aujourd’hui, je suis encore présent en Mauritanie.


Quel bilan tu tires de tes six années à la tête des Mourabitounes ?


C’est allé crescendo. J’ai prolongé mes contrats à chaque fois par deux ans. Lorsqu’on a échoué pour la qualification à la CAN 2017, nous étions dans le groupe du Cameroun, de l’Afrique du Sud et de la Gambie, et nous avions terminé deuxième. Devant l’Afrique du Sud, ce qui était déjà un exploit, et derrière le Cameroun, le futur vainqueur. Ça avait été correct. Et j’avais dit au président que je sentais que le potentiel du groupe n’était pas encore à son maximum, que ça me plairait bien de poursuivre, de l’emmener un petit peu plus loin et peut-être se qualifier pour la prochaine CAN. C’est ce qu’on a réussi à faire, c’est important. L’équipe progresse également. J’ai pris un groupe assez jeune, et aujourd’hui, il y a encore une marge de progression.


Vous avez fait honneur au pays l’année dernière en participant à la CAN 2019. Quels sont désormais les objectifs à moyen et long termes ?


Les objectifs sont toujours élevés. Que ce soit à mes débuts ou aujourd’hui, on veut toujours faire le maximum et toujours obtenir ce qu’il y a de mieux. La première chose, c’est de confirmer notre première qualification à la dernière CAN en Egypte et se qualifier pour la prochaine. Ça c’est la première étape. Et puis après, comme il y a eu le tirage au sort de la Coupe du monde, l’idée est d’aller le plus loin possible et de créer des surprises. Ce sont vraiment les deux choses auxquelles je pense.


Qu’est-ce que change ce long break lié au Covid-19 ?

Ça me fait bizarre, ça me semble loin que j’ai hâte de retrouver mes joueurs (sourire). Je n’ai pas spécialement d’inquiétudes parce que mes joueurs sont actifs par le biais de leurs clubs. Et surtout, on a une chance c’est que cela fait maintenant six ans que je travaille avec eux, donc il n’y aura pas de surprise quand on va se retrouver. On a certaines habitudes et aujourd’hui, elles ne vont pas changer énormément. J’espère que ça va s’arrêter et qu’on va se retrouver bientôt (sourire).


Ça va tout de même vous obliger à enchaîner les matches. Tu appréhendes ça ?

Oui, j’appréhende un peu l’enchaînement des matches, surtout au sein d’un même stage où l’on fait deux matches. J’appréhende un petit peu parce que mes joueurs n’ont pas l’habitude de jouer tous les trois jours, parce qu’aucun d’eux n’évolue en Ligue 1 ou ne joue des matches de Coupes d’Europe en milieu de semaine. Mais il y aussi un autre facteur, c’est qu’en Afrique, les distances sont très longues et qu’en fonction des voyages, on peut aussi accumuler de la fatigue.


Et la Mauritanie n’est peut-être pas une sélection qui possède son propre avion privé…

Oui et justement, quand nous avons joué l’Angola, nous nous sommes rendus là-bas et ils sont venus chez nous trois jours après. Le président avait trouvé un moyen de nous avoir un avion privé pour faire un voyage direct. C’est vrai que c’est super appréciable.


Qu’est-ce qui t’a le plus surpris en arrivant en Afrique ?

Je vais surtout te parler de la Mauritanie. C’est tout d’abord la façon de vivre qui est différente. Quand j’y vais, je suis content, on a l’impression de respirer un petit peu. Les gens prennent plus le temps de vivre. Ce sont des personnes bonnes, gentilles. Ils sont passionnés, aussi. Par rapport au foot, ils veulent toujours plus et c’est vrai que la passion dans le bon sens il faut la vivre et dans le mauvais sens, moins la vivre. Parce que c’est aussi violent d’un côté comme de l’autre (rires).


Combien de temps tu passes par mois en Mauritanie ?

Une dizaine de jours environ. Déjà quand il y a nos matches, c’est cinq dates dans l’année : mars, juin, septembre, octobre et novembre. Ce sont des stages de dix jours à chaque fois. Entre les matches, je me déplace pour voir le championnat local et puis voir les quelques joueurs que j’ai aujourd’hui à jouer là-bas, et à découvrir aussi les nouveaux talents.


Tu n’es donc pas de sélectionneurs qui ne vont pas voir les matches en Afrique et qui laissent ça à leurs adjoints ?

Oui, parce que déjà c’est normal et que les gens veulent me voir. Et puis on est toujours mieux servis par ses propres yeux que ceux des autres. Je veux aussi que mes joueurs sentent que je les suive. Pour leur motivation, c’est important.


On dit aussi souvent que les conditions sont particulières en Afrique. En quoi le sont-elles ?

Si on parle d’infrastructures, de stades, de vestiaires, … dans beaucoup de pays, c’est totalement différent de l’Europe. Si on enlève l’Afrique du Sud et … (il réfléchit) le Maroc, ce sont les deux pays qui me viennent à l’idée comme ça et où il y a de belles infrastructures, c’est vrai que le reste est folklorique. Je me souviens avoir fait un match au Soudan du Sud, où le kiné avait installé sa table de massage dans le couloir, dans l’entrée du stade … On en rigole sur le coup ! Il faut prendre ça tranquillement (sourire). Ce qui fait aussi ma réussite, c’est que je suis quelqu’un d’assez cool. J’aime bien la rigueur, mais pas dans le maximum, maximum, maximum comme on pourrait l’avoir en Europe. Aujourd’hui, il faut aussi s’adapter au pays, aux conditions et lâcher un petit peu.


Le joueur mauritanien progresse mais s’exporte peu : pourquoi ?

Il s’exporte davantage aujourd’hui. Comme on disait, cela fait maintenant six années que je suis sélectionneur de la Mauritanie. Au début, quand je suis arrivé, j’avais à peu près six expatriés et dix-sept joueurs locaux. Et aujourd’hui c’est l’inverse : j’en ai dix-sept à l’extérieur et six ou sept qui jouent au pays. À travers leurs matches avec la sélection, ils ont pu s’exporter. Ce n’est pas dans des pays comme la France et la Ligue 1. C’est plutôt le Maroc, l’Egypte, etc… Mais ils sont parvenus à s’exporter, à sortir du pays. C’est bien. Ça montre qu’ils ont des qualités et qu’ils ont su le démontrer. On a peut-être tendance à faire davantage confiance à des joueurs sénégalais, nigérians, ivoiriens ou camerounais plutôt qu’à des Mauritaniens. Quand on parle de la Mauritanie, on se dit que le pays ne connaît pas le football.


Tu es quelqu’un de fidèle puisque depuis ta retraite, tu n’as connu qu’un club et qu’une sélection. Ce n’est pas beaucoup !

Non, c’est vrai (sourire). On peut penser que l’herbe est toujours plus verte de l’autre côté, mais ce n’est pas ma façon de voir. J’ai pu avoir quelques sollicitations mais ce n’est jamais allé très loin parce que je sais où je suis et que je n’ai pas encore terminé ma mission. Oui, je suis souvent fidèle aux gens qui m’emploient et respectueux.


Un retour en Ligue 1 n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant ?

Je ne dis pas ça. Le président m’a toujours dit que le jour où j’ai quelque chose de mieux que la Mauritanie, il me laissera partir. Comme j’ai dit, j’ai eu quelques sollicitations mais je n’ai jamais senti que j’avais tout ce qu’il fallait pour pouvoir partir. Mais demain si un club de Ligue 1 s’intéresse, j’en parlerais avec mon président parce que je suis employé par lui. Mais allez savoir s’il me laissera la possibilité de partir ou pas.


Comment tu juges l’évolution du football moderne ?

Dans le football moderne, je trouve qu’il y a beaucoup plus d’intensité et plus de qualité technique en général. Avant, on avait plus tendance à dire que les défenseurs ne savaient pas relancer par exemple. Aujourd’hui, je trouve que la plupart des joueurs sont techniquement supérieurs. On voit des latéraux qui sont capables de dribbler des adversaires donc ça prouve que ça a évolué de ce côté-là aussi.


Donc tu ne fais pas partie de ceux qui disent « C’était mieux avant » ?

(Rires) Non, non. Encore une fois, je pense qu’avant, nous avions des défenseurs qui défendaient et qui avaient du mal à être précis dans leurs passes ou dans leurs dribbles, alors qu’aujourd’hui, on en voit de plus en plus. C’est ça surtout qui me vient à l’esprit.


Il y a une particularité dans ce foot moderne, c’est que ton ancien poste de numéro 10 a évolué. Pourquoi on ne voit plus de numéro 10 à l’ancienne ?

Je ne sais pas si c’était bien ou pas parce que c’est vrai qu’on parle d’un joueur. Et un joueur, parmi un onze, ça veut dire que si lui n’est pas bien alors que c’est lui qui fait jouer l’équipe, il y a peu de chance de gagner. Le fait aujourd’hui d’avoir un jeu un peu plus collectif et basé sur d’autres joueurs, dont quatre ou cinq offensifs qui sont capables de faire la différence, c’est quand même mieux. Le jeu repose aujourd’hui sur davantage de joueurs, alors que peut-être qu’avant, ça reposait sur un seul et ça avait aussi ses inconvénients. Moi, je ne suis pas particulièrement pour. Mais ça dépend aussi de l’effectif que tu as. Tu fais en fonction de ça.


Tu n’as jamais eu la tentation de mettre un 10 avec la Mauritanie, comme toi tu as pu l’être à Auxerre, Strasbourg, à La Corogne, … ?

J’essaie de m’adapter à mes joueurs, et aujourd’hui, je n’ai pas de numéro 10 classique, à l’ancienne. Je suis plus sur un 4-4-2 ou un 4-3-3, un peu entre les deux.


Pour ceux qui ont vu peu de matches de la Mauritanie, c’est quoi le style de jeu de Corentin Martins ?

Je ne suis pas trop dans ces termes de « possession » ou « football d’attaque », ni forcément dans la réalité d’un match. Les mots que je transmets aux joueurs, c’est que dès qu’on récupère la balle, on se projette vers l’avant. La plupart des gens le disent : c’est vrai que quand on est face à une équipe un peu désorganisée défensivement, on a plus de chances de marquer des buts ou d’être en supériorité. À partir du moment où l’on est face à une équipe qui se regroupe, eh bien là on entre dans une période de possession. Pour moi il y a deux phases : quand on a le ballon, c’est se projeter rapidement et quand on n’y arrive pas et qu’on est face à une défense regroupée, l’idée est de déstabiliser avec une période de possession. Après, oui j’aime bien repartir proprement de l’arrière. Je veux qu’on utilise le plus souvent le ballon au sol et essayer de construire.


Par Zahir Oussadi

Commentaires