Interview - Mohamed Jemil Mansour, ancien président du parti Tawassoul

Interview - Mohamed Jemil Mansour, ancien président du parti Tawassoul

Le Calame - "Aziz peut parler de tous les sujets sauf de l'unité nationale qui a beaucoup souffert sous son régime et de la mauvaise gestion"

Le Calame : Il y a quelques jours, des rumeurs persistantes faisant état d’un remaniement ministériel imminent et de votre entrée au gouvernement du président Ghazwani ont circulé. Info ou intox ?

Mohamed Jemil Mansour : Depuis quelques temps, cette hypothèse est évoquée J’ai entendu dire que je vais entrer au gouvernement. Ce ne sont, comme vous le dites si bien que des rumeurs. Je rappelle que je suis un homme politique, membre d’un parti politique et le fait de faire son entrée dans un gouvernement est une décision politique.

Cette hypothèse n’est pas une simple décision qui peut être prise n’importe quand et n’importe comment, elle doit refléter une volonté politique de la part du président de la République. Et pour ma part, il n’a pas affiché cette volonté et du coup, on ne peut pas parler d’une rentrée dans son gouvernement. Ce ne sont, pour le moment que des supputations de salons.

C’est vrai, je ne m’en cache pas, j’ai de bons rapports avec le président de la République, même si par ailleurs, je suis opposant et leader d’un parti d’opposition, ce qui n’est pas incompatible, je pense. Et je vous avoue que j’apprécie bien l’action du président Mohamed Cheikh El Ghazwani, sa démarche politique est positive et suscite chez moi un grand espoir. Je rappelle que j’ai eu l’occasion de le rencontrer à trois reprises au cours desquelles, on a discuté des sujets importants. Ce fut l’occasion pour moi de lui proposer et expliquer mes points de vue sur les questions nationales. Et au retour, j’ai reçu de lui des réponses convaincantes. Je sors à chaque entretien avec de beaucoup de satisfactions et d’espoirs.

-Quels rapports entretenez-vous avec Tawassoul depuis votre départ de sa direction?

- Mes rapports avec mon parti Tawassoul sont ceux d’un militant avec son parti. Parfois, j’ai des observations, voire des critiques. Comme vous le savez, au sein de ce parti, nous avons une tradition de discussions et de concertations qui permet à chacun de nous d’exposer ses points de vue et sa vision des choses. C’est une culture que nous continuons à maintenir et exploiter.

-La majorité et l’opposition explorent, depuis quelque temps les voies et moyens d’organiser un dialogue politique inclusif. Comment avez-vous accueilli cette initiative ? Ensuite, pensez-vous qu’elle va aboutir ?

- Que la majorité et l’opposition dialoguent, avec d’autres acteurs politiques du pays est une bonne chose, ça donne un sens à la démocratie. Il faut essayer toujours de faire associer toutes les forces vives à la gestion de la Nation, c’est notre souhait. J’encourage cette initiative et souhaite qu’elle réussisse. Je pense que notre pays a besoin d’un dialogue politique national inclusif même si aujourd’hui, il n’y a pas de tension ou de crise politique manifestes entre les acteurs des différents camps politiques. Nous avons enregistré, depuis l’élection du président Mohamed Cheikh El Ghazwani, une véritable décrispation de l’arène politique.

-Dans cette perspective du dialogue, les parties ont concocté une feuille de route. Que pensez-vous de son contenu ? Quels sont selon vous, les thèmes les plus urgents à régler par le dialogue ?

-La feuille de route qui a été présentée par les partis signataires reflète l’importance du dialogue, des thèmes à discuter ; elle a même proposé un chronogramme. C’est donc là un premier pas positif puisqu’un consensus s’est dégagé autour des thématiques proposées.

Trois sujets principaux ont été retenus, il s’agit de : l’unité nationale, l’esclavage et ses séquelles, garantir un chantier d’élections libres et transparentes, la bonne gouvernance, la justice, l’équité entre les composantes du pays.

-Depuis plus d’une année, le « dossier de la décennie » mettant en cause l’ancien président tient les mauritaniens en haleine. Ould Abdel Aziz et 12 de ses anciens collaborateurs et proches sont inculpés par la justice et placés sous « contrôle judiciaire strict ». Ce dossier ne vous laisse certainement pas indifférent. Quelle évaluation vous en faites ? Avez-vous le sentiment que la justice sera dite et que les mauritaniens récupéreront leurs biens spoliés ?

- Laissez-moi vous dire que je ne veux plus parler de l’ancien président et de son pouvoir, parce que j’en avais beaucoup parlé quand il était au pouvoir. Par contre, je trouve normal de ne pas donner un caractère politique à un dossier qui concerne la gestion et la possibilité de récupérer les biens spoliés de ce peuple. Je sais que l’ancien chef de l’Etat veut en faire une bataille politique, mais je crois que le travail de la CEP, le contenu du dossier qui se trouve devant la justice, la nature et le niveau des accusations ne lui donneront pas cette chance.

- Dans une lettre ouverte adressée à l'opinion mauritanienne puis dans une interview accordée à Jeune Afrique, l'ancien président, après avoir nié les faits qui lui sont reprochées, a accusé le pouvoir actuel de "corruption", de "fossoyeur de l'unité nationale". Votre réaction?

-- Comme je l’ai dit tantôt, je ne veux pas parler beaucoup d'un pouvoir ou d'un président qui n'exerce plus. Par contre, je pense que l'ancien régime peut parler si c'est nécessaire de tous les sujets sauf de l'unité nationale qui a beaucoup souffert sous son régime et de la mauvaise gestion, sa gymnastique préférée et protégée.

-Cette sortie de l’ancien président a entrainé une vive réaction des partis de l'opposition qui l’ont accusé de vouloir "politiser son dossier" pendant devant la justice. Ils ont qualifié la situation politique actuelle du pays de grave et d'explosive et mis en garde contre les risques que des forces hostiles aux changements pourraient exploiter pour ramener le pays en arrière. Partagez cet avis? Le consensus qui a prévalu depuis le président Ghazwani est-il en train de voler en éclats? Quelles peuvent être les conséquences politiques?

-Je persiste et signe que ce dossier doit rester en dehors du champ politique, nous ne devons pas nous laisser entrainer dans le sillage de l’ancien président.

S’agissant du président de la République, je constate que son règne a connu des avancées significatives, nous ne devons pas oublier que le contexte n’était pas favorable, il avait beaucoup de défis à relever. L’espoir que son élection a soulevé demeure, il faut le maintenir et le préserver en poursuivant les réformes attendues par le peuple mauritanien.

-Depuis quelques mois, les prix des produits vitaux ont connu une hausse insoutenable. Avez-vous le sentiment que les mesures prises par le gouvernement sont de nature à les endiguer ? La COVID explique-t-elle, seule, ces augmentations ?

Qu’il y ait des contraintes objectives liées aux fluctuations du commerce international et à la COVID19, pouvant occasionner la hausse des prix, je peux comprendre, mais, je pense que cette flambée insoutenable des prix des denrées de base est liée aux comportements de nos importateurs et de l’attitude du gouvernement face aux commerçants. Le rôle du gouvernement devrait être dans cette crise de prendre des mesures efficaces et à temps pour soulager les souffrances des populations, en particulier les plus pauvres. De mon point de vue, les mesures prises par le gouvernement sont tardives et peu efficaces.

La Mauritanie a renoué ses relations diplomatiques avec le Qatar. Comment avez-vous accueilli cette décision, vous qui réclamiez cette reprise ?

-Je salue la décision de renouer les relations diplomatiques avec le Qatar, un pays frère et ami, mieux, j'encourage notre pays à avoir de bonnes relations avec nos voisins, nos frères, nos amis. La Mauritanie doit s’abstenir d’interférer dans les affaires internes des autres Etats.

Propos recueillis par Dalay Lam

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