Seydou Ngam - Après avoir imploré le nom d’Allah et prier sur le Prophète (Paix et Salut sur lui), je présente mes excuses et mes meilleurs souhaits à mes compatriotes, à l’occasion de la fin du mois béni du Ramadan et de surcroit dans la nuit sacrée du Destin.
Voilà encore, une sortie intempestive, diront certains, et pour qui il se prend, réagiront d’autres. Bref, chacun est libre de réagir comme il veut, mais il est temps, que les mauritaniens apprennent à se regarder en face et discuter, au besoin débattre positivement sur les questions d’ordre générale liées à la vie du pays, sans occulter les périodes sombres de son histoire.
Oui, qui suis-je ? Pour avoir l’audace de s’adresser à mes compatriotes par les biais d’une lettre ouverte. Je suis un citoyen ordinaire dans un pays extraordinaire, lui aussi victime, témoin, peut être complice, non moins auteur de la Chappe de plomb racial, qui a assombrie le ciel mauritanien durant des années et dont les séquelles et le passif continuent de peser lourdement sur les épaules d’une Nation en danger et en quête de quiétude.
J’avais choisi la gendarmerie pour servir mon pays et surtout réaliser mon rêve d’enfant attiré par la prestance, la justice, le poids des valeurs et surtout l’élégance des tenues de ce corps d’armée, qui puisait la noblesse de son aura dans le vivier du droit.
J’ai trop vite déchanté car ma venue dans cette institution, a coïncidé avec le dérapage étatique du régime d’exception du président Taya, qui avait choisi de se retourner contre une composante de son peuple, de 1984 à 1991. Je préfère vous faire l’économie de ce dérapage monstrueux, car les historiens, les combattants des droits humains, les journalistes, les avocats de la liberté et les mauritaniens imbus de paix et de justice, en ont fait leur sacerdoce.
Il restera au gouvernement actuel d’en tirer les leçons, et mesurer les conséquences. Si cette page sombre de l’histoire récente du pays n’est pas réglée, notre pays continuera de tourner en rond avec l’éternelle équation, qu’avons-nous fait au Bon Dieu pour mériter notre triste sort.
Oui, c’est dans cette gendarmerie que j’avais tant aimée et dévouée à servir, que je réalisé l’ampleur du drame mauritanien, avec une feuille de route dissimulée pour dresser les enfants du pays, les uns contre les autres, dans le relent immonde du racisme d’Etat, qui ne dit pas son nom. Tout jeune et frêle gendarme promue à une carrière fulgurante, j’ai atterrit à la brigade terre de Cansado à Nouadhibou.
Premier jour de service et premières déconvenues, mon commandant de brigade testant la docilité de son stagiaire, a voulu m’envoyer à la boucherie pour acheter de la viande pour sa famille. J’ai répondu mon commandant, avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas venue ici pour faire le service d’un domestique. Surpris par ma réponse, il a remis le billet de banque dans sa poche et sans dire un mot, il s’engouffra dans son bureau.
Ainsi commença ma carrière agitée, dorénavant compromise et j’ai très tôt compris que je n’avais plus droit à l’erreur. La sanction plane déjà sur ma tête fragile, mais il faudrait une preuve justifiée et un moment propice de l’application, pour ramener le petit stagiaire dans les rangs.
Dieu Merci, formé dans les règles de l’art, issu d’une promotion compétente baptisée TRAVAIL, je ne pouvais souffrir d’aucun complexe, ni de lacune pour mener à bien, les services auxquels j’étais destiné. D’où d’ailleurs ma rédemption dans le secrétariat de ma brigade, pour saisir les PV et les correspondances dans les vieilles machines dactylo de l’époque, ancêtres des ordinateurs du jour.
1986 – 1987 et 1989, les jours se succèdent, les mois défiles et les années deviennent éternelles sur les épaules de ma communauté et par ricochet mon quotidien de gendarme est devenu angoissant, oh combien insupportable. Là encore, je préfère taire les détails de mes multiples calvaires, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie de mon esprit.
En 1989, après les évènements censés être mauritano-sénégalais, entre temps devenus règlement de compte mauritano-mauritaniens, pour dénégrifier un pays, qui traine avec son complexe arabe, aveuglé par l’extrémisme baath. Dans ma vie, je suis viscéralement allergique à tout extrême, particulièrement l’extrémisme qui puise ses ingrédients sur le rejet de l’autre.
Pour être loin du terrain des décisions, mon commandant de brigade, décide de m’envoyer à Lagouwera sur le théâtre des opérations de regroupement des sénégalais à rapatrier, mais aussi des mauritaniens encombrants à déporter.
L’atmosphère est invivable, le désespoir latent, l’odeur de la mort qui rôde et les enchères de survie ont fait grimpé les prix des produits basiques comme le pain, le gloria. La petite miche de pain de 20 à 40 ouguiyas, se négocie entre 200 et 300 etc… Ainsi Lagouwera, cette enclave du Sahara sous tutelle de la Mauritanie, est devenue un marché du malheur, pour dépouiller les victimes de leurs derniers sous, avant le rapatriement ou la déportation forcée.
Là, j’ai compris que la Mauritanie vient de basculer dans l’horreur, même si les autorités n’ont pas donné l’ordre de piller ou de tuer, elles ont laissé faire des hordes de mes compatriotes arabes, pour la plus part haratines, semer la terreur au niveau de la ville de Nouadhibou. Sans exagérer, ce que j’ai vu dépasse l’entendement et les proportions de limites d’une Nation Islamique.
C’est pourquoi, ceux qui ont participés à ce désordre latent de pillages systématiques et de tueries collectives, ne sont ni musulmans, ni humains, car ils se sont laissés guider par un instinct animal avec la main du satan, pour verser le sang en plein Ramadan. Sur la demande insistante et les préoccupations de ma mère, j’ai décidé de rendre le tablier de la gendarmerie.
En écoutant le Colonel Boillil, commandant de Région de l’époque, à la base militaire de Nouadhibou. Lorsqu’il dit dans son discours à la cérémonie de levée des couleurs de la fête nationale du 28 novembre 1989 : « Je remercie et félicite les forces de l’ordre et les exhorte à plus de vigilance et de patriotisme, car le plus dur reste à venir.
La menace d’un pays peut venir de l’extérieur, comme de l’intérieur… ». Selon les propos du Colonel, qui avait anticipé sur parole, ce qui allait suivre durant la période 1990 – 1991.
C’est la guerre interne non déclarée contre les soldats négros mauritaniens. Là aussi, les livres L’enfer d’Inal du capitaine rescapé Sy Mamadou et J’étais à Oualata du Lieutenant Boye, en disent long.
Deux livres pédagogiques, qui retracent l’horreur vécue des soldats noirs, par les mains de leurs propres frères d’armes. Comme disait Proust : « La vérité n’a pas besoins d’être dite pour se manifester.
On peut la recueillir plus sûrement sans attendre les paroles. » Pour ma part, j’ai bien attendu les paroles du Colonel, pour détecter le nuage de la vérité sur l’air du temps. J’ai pu lire entre les lignes en scrutant les traits de son visage incendiaire et menaçant. En silence, je me suis posé la question avant mon frère Islemou Ould Abdel Kader : « Où va la Mauritanie ? »
Dieu Merci, j’ai rendu ma démission en début décembre 1989. Là aussi c’est un parcours de combattant pour être libéré, il faut se soumettre au scanner du B2, qui doit donner son quitus, sur les motifs de ma démission.
Avec la bénédiction de maman et la volonté d’Allah, j’ai recouvert ma « liberté de citoyen civil », sans être libre, j’ai pris le chemin de Bagodine pour ressentir la chaleur maternelle et rassurer ma mère, que je ne suis plus gendarme.
Le temps de retrouvaille fut de courte durée, car à l’aune des années 90, le Fouta et toute la vallée du fleuve sont en état de siège, qui ne dit pas son nom. Le soldat, le policier, le gendarme, le garde ou le douanier, chacun avait la main libre, pour semer la terreur dans cette partie du pays et sur les couches innocentes et vulnérables.
Bagodine comme la plus part de nos villages, étaient soumis au dictat des milices armés de nos compatriotes haratines, hier en frères et voisins de palier, aujourd’hui en ennemis redoutables avec une mission dictée, se dressent sans état d’âme, pour changer le cours de l’histoire. C’est la période où certains villages sont officiellement débaptisés, pour porter des noms arabes, comme le village Boubou Awdi, qui du jour au lendemain est devenu Bouchama.
Là aussi, sans amalgame, je tiens à rendre hommage à l’élite de mes compatriotes haratines, pour avoir osé dénoncer la manipulation de sa frange analphabète et sans occupation. Parmi ces élites, il y’a aussi ceux qui sont allés se recueillir sur les lieux des atrocités (Inal – Jereyda – Azlat), pour la mémoire de nombreux disparus.
La torture morale et la privation, m’ont poussé à reprendre le chemin de Nouakchott, pour gagner ma survie, sans tendre la main, ni mentir, ni tricher.
Dieu Merci, l’audace et la foi, m’ont permis de survivre avec des petits métiers. Gardien – marchand ambulant - boutiquier et photographe etc…, la liste est longue et dénote la précarité sous l’angle de la témérité, car je préfère mourir de faim, que de dire j’ai faim.
Que de jours et de nuits d’angoisse sous le manteau de la pauvreté, certains ont choisi l’exil, d’autres ont fait profil bas pour exécuter le sale boulot de la calomnie et du renseignement, au service d’un Etat, qui a perdu la main sur le cours de l’histoire.
En semant le mal et la haine dans les cœurs, on perd la lucidité et le pouvoir d’en contrôler les conséquences. Sans se résigner, j’ai choisi de vivre dans l’introspection de moi-même et de suivre le cours de l’histoire sans subir l’histoire, car la vie continue. Par la suite, je me suis reconvertis dans l’éducation et le socioculturel, pour chasser de mon esprit les heures sombres de ma déchéance et de mon dénuement.
De cette introspection, j’ai recouvert une liberté morale intérieure, un esprit innovent et un cœur résiliant, car j’ai fini par pardonner tous les torts qu’on m’a causé, en demandant aussi pardon pour tous les torts que j’ai causé sans le vouloir. Je demande pardon à mon grand frère et ami Haidara, que j’ai verbalisé à tort en 1988 à bord de sa R12 de collection, alors jeune ingénieur à la SNIM.
Aujourd’hui à la retraite et président du Marathon International de Nouadhibou, je sais qu’il a déjà pardonné. Mohamed Haidara, un compatriote arabe que j’admire et respecte, tant par ses qualité d’homme de paix et d’estime, que de ses efforts et de son engagement à réconcilier la Mauritanie avec elle-même, et surtout son sacrifice à inscrire Nouadhbou dans le registre international des grandes villes sportives.
Ce qui est sûr, il répondra présent à toute initiative au sommet de l’Etat, pour user de sa diplomatie, de sa proximité avec la jeunesse et de son immersion dans toutes les communautés composantes du puzzle Mauritanie, pour réconcilier les cœurs. Sa personne m’inspire confiance et humilité.
Merci Doyen ! Je sais que la vie est longue et autant courte. Si elle nous réserve des surprises, elle doit aussi, nous enseigner le sens du pardon, de l’amour et de la fraternité. Pour un oui, pour un non et sur le déclic du destin, j’aurai pu moi aussi, mourir dans ma brigade de gendarmerie, comme mon frère Baidy Bâ douanier de son Etat exécuté froidement par mes anciens collègues gendarmes à la brigade terre de Cansado.
Oui, j’aurai pu succomber dans le mouroir d’Inal, de Jereyda ou dans les geôles lointains de Walata, comme le rappeler le Colonel Beibacar (Yarhamou). Il a su dénoncer de son vivant, les atrocités vécues par ses compatriotes poular.
Il a fait de son mieux pour sauver l’icône Tène Youssouf Guèye, qui malheureusement a succombé comme tant d’autres. Il a aussi osé identifier sa tombe, pour que sa famille et ses proches puissent se recueillir et peut être l’Etat reviendra sur le passé, pour réhabiliter sa mémoire, avec des funérailles d’honneur digne de son rang et du sacrifice consentie. Sur le champ de bataille de l’histoire et dans le charnier des fratricides, il n’y a ni vainqueur, ni vaincu.
Il y’a plutôt une seule victime, une Mauritanie traumatisée, blessée, violée et meurtrie. Que nous apprends l’histoire ! Le dictateur Taya est en exil, Abdel Aziz l’imam de la prière aux morts à Kaédi, est sur le banc des accusés, empêtré dans les filets de nombreux chefs d’accusations.
Beaucoup de bourreaux et assassins sont déjà morts et se retrouvent nez à nez avec leurs victimes d’outre tombes d’Inal, de Jereyda, d’Azlat et de Walata, en attendant la sentence du dernier jugement.
Par contre les survivants de tous bord confondus, les uns vivant avec les séquelles de tortures physique, morale et le handicap d’une vie, tandis que d’autres vivent avec le collier brulant autour du cou, d’avoir commis l’irréparable.
Sans tirer sur les corbillards des cadavres politiques, sans tourner autour des débats stériles, sans injures, ni calomnie, nous devrons ensemble chercher la réponse à la question de notre compatriote et écrivain, l’administrateur Islmou Ould Abdel Kader : « Où va la Mauritanie ? » Titre prémonitoire de son livre, qui interpelle les gouvernants en premier lieu, les Oulemas, les intellectuels, les politiques, la société civile et le peuple dans son ensemble.
Ma lettre ouverte adressée à mes compatriotes, se veut aussi, une main tendue à la Mauritanie toute entière. Mes frères arabes, comme négro africains doivent savoir, que ce pays nous appartiens et nous appartenons à son aire géographique, même si la mauvaise posture de l’histoire et le mektoub, nous ont poussé à se haïr, à se tourner le dos, plus grave, à s’entretuer, contre toute lois dictées par l’Islam.
Allah le tout puissant nous rappelle dans le Coran : « Les Croyants ne sont que des frères. Etablissez la concorde envers vos frères et craignez Allah afin qu’on vous fasse miséricorde. Ô vous qui avez cru ! Qu’un groupe ne se raille pas d’un autre groupe. Ceux-ci sont peut-être meilleurs qu’eux. Ô vous qui avez cru ! Evitez de trop conjonctures sur autrui, car une partie des conjonctures est un péché. Et n’espionnez pas, et ne médisez pas les uns des autres. L’un de vous, aimerait-il manger la chair de son frère mort. Vous en aurez horreur.
Craignez Allah est Grand et Accueillant au repentir et très Miséricordieux. Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous, des nations et des tribus, pour que vous vous connaissiez. Les plus nobles d’entre vous, auprès d’Allah est le plus pieux. Allah est certes Omniscient et Grand Connaisseur. Allah connait l’invisible des Cieux et de la Terre et Allah est clairvoyant sur ce que vous faites. » (Sourate 49)
Nous voici aux contours de la patience, et la Mauritanie qui produit la richesse, et distribue la misère, c’est le comble des paradoxes. Si riche, et pourtant pauvre, elle est née avec une cuillère d’Or dans la bouche, elle a pourtant le ventre creux. Hier en terre sainte et des oulemas, aujourd’hui terre de tricherie, de calomnie et de détournement de deniers publics.
Feuilletons ensemble les pages de « Où va la Mauritanie ? » du sage écrivain Iselmou Ould Abdel Kader, quand il écrit à la page 166 de son livre : «Si la Mauritanie arrive à fermer ses plaies anciennes, elle devra le faire davantage pour d’autres qui demeureraient à cautériser d’urgence, celles, notamment, laissées par les années sataniques.
Le dicton populaire dit que (celui qui se blesse du fait de sa main ne doit pas en souffrir), aucun saint n’aurait pu prédire que la Mauritanie eût pu, connaitre des évènements d’une cruauté aussi inimaginable que celle des années 1990 – 1991. Il serait facile d’en imputer la responsabilité au régime d’alors, aussi bien qu’à des personnes déterminées.
Aussi, peut-on estimer que les mauritaniens ont le droit, à un moment donné, de savoir exactement ce qui s’était passé et pourquoi ? Mais dans tous les cas, toute la Nation est moralement responsable pour avoir, soit toléré, soit parce qu’on pensait agir en son nom. Dans tous les cas, les mauritaniens ont le droit de connaitre la réalité du préjudice et le devoir moral de le réparer totalement. »
J’ose espérer que les assises de dialogue ou de concertation, dans l’air du temps et dont on parle. Si elles se concrétisent. Elles doivent porter les germes de vérité, de justice, et de réconciliation. Des préalables pour solder le passif humanitaire, soigner les séquelles de l’esclavage, nous saurons dans un élan de cœur et sans rancœur enterrer définitivement la hache de guerre avec son poison de sentiments de vengeance.
Nous aurons la force et la lucidité de cultiver la paix et prémunir nos enfants, qui ont soif du vivre ensemble dans leur paradis Mauritanie.
Quand je dis vérité – justice et réconciliation, il faut tout simplement forcer la main du destin, pour se départir, du carcan des préjugés, et de la mauvaise foi, pour une vérité réparatrice afin de savoir qui a fait quoi, une justice équitable et mesurée, pour en venir à une sérieuse réconciliations des cœurs et des esprits.
C’est en ce moment, et seulement ce moment rêvé, qui se fait attendre, que la Mauritanie ouvrira une nouvelle page de son histoire, pour se pencher sur les questions épineuses de l’éducation, de la santé, de l’environnement, et du développement inclusif, pour faire bénéficier ses enfants, à tous ses enfants, des retombés inépuisables de ses richesses. Tant son sous-sol est généreux et son peuple peux nombreux, la Mauritanie pourra se prévaloir d’un paradis sur terre, et un trait d’union entre l’honneur et la fraternité.
Mes chers compatriotes, au terme de ma lettre ouverte, que je peux assimiler en lettre de confession, je supplie le Bon Dieu de sauver la Mauritanie, d’éclairer nos chemins et de guider nos pas. Encore une fois, je vous demande pardon et vous présente mes meilleurs souhaits à l’occasion de la fête du Ramadan.
Que Dieu protège la Mauritanie !
NGam Seydou
Nouadhibou, le 9 mai 2021
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