Le Calame - Le monde des affaires évite de faire du bruit. On négocie à l’ordinaire discrètement, entre gens présumés polis ; ce qui n’exclut évidemment pas les coups bas ou tordus.
C’est parfois le cas entre actionnaires d’une même entreprise où le jeu des alliances est capital pour orienter la gestion de celle-ci. Dans le cas du « ménage à trois » que forme Mattel où l’actionnaire majoritaire, Tunisie Telecom, est flanqué de deux associés mauritaniens à parts égales, Mohamed ould Bouamatou et Béchir Moulaye El Hassen, l’entente actuelle entre les deux premiers place le troisième en position de faiblesse.
Aurait-il eu recours à une campagne médiatique de bas étage pour tenter de renverser la situation ? Un récent article paru dans la presse tunisienne (1) semble accréditer cette hypothèse.
Assertion peu crédible
Mohamed ould Bouamatou s’y voit vilipendé. Après l’avoir d’emblée présenté comme un « personnage entouré de polémiques et connu pour sa proximité avec l’environnement familial mafieux de Ben Ali » – une assertion d’autant moins crédible que celui-là n’a strictement rien investi en Tunisie au temps de celui-ci – l’auteur dudit article embraye immédiatement sur les déboires du célèbre mécène (2) avec Ould Abdel Aziz.
Voyant sa banque – la Générale Banque de Mauritanie (GBM) – crouler sous les impôts démesurément exigés par l’ingrat dictateur (3), Bouamatou en interrompit l’activité durant quelques mois – mais non pas « à plusieurs reprises», comme le prétend l’article – tout en publiant un communiqué demandant aux petits déposants de contacter son avocat pour récupérer leurs avoirs et aux gros clients de s’adresser à la Banque centrale s’ils avaient besoin d’une partie de leur argent.
Comprenant au final le risque pour tout le système bancaire mauritanien, Ould Abel Aziz finit par desserrer l’étau, la banque rouvrit et nul, à commencer par Mattel, ne fut lésé.
L’article en question ne profite pas moins de ces péripéties pour suggérer en filigrane que, confronté à des difficultés durant la disgrâce de Bouamatou, ladite société de télécoms n’aurait dû son salut qu’à l’intervention de Béchir El Hassen.
Celui-ci aurait «à la sueur de son front, tout fait pour sauver l’entreprise d’une cessation d’activités et lui permit même d’économiser environ trente millions de dollars qui se retrouvent aujourd’hui dans la valorisation offerte de cent millions de dollars pour le rachat de Mattel ».
Une version des faits fermement contredite par les faits, qui, dit-on, sont têtus et par Bouamatou qui porta plainte contre lui, l’accusant d’avoir profité de son statut d’actionnaire pour pomper l’entreprise en lui louant des maisons à des prix exorbitants et en commandant à son bureau d’études des ‘’études’’ à des coûts tout aussi faramineux. De qui se moque-t-on ?
Quand Béchir prétend défendre les intérêts de la société Mattel, on ne peut s’empêcher de pouffer de rire quand on sait qu’il est poursuivi par cette société pour des dettes commerciales non payées depuis 2015 malgré les nombreux moratoires, relances et plaintes. Pire, il lui a facturé des prestations visant à améliorer son image avec une société dont le directeur n’est autre que…son chauffeur. Le tout avec la complicité de son ancien directeur général, Dominique Saint-Jean qui fait l’objet, ainsi que Béchir, d’une instruction judiciaire pour "escroquerie". Et la liste des méfaits ne s’arrêtent pas là.
Plusieurs autres banques de la place le poursuivent en justice et ont obtenu des décisions judiciaires définitives qui ont été exécutées sur ses actifs, un huissier a même essayé de faire vendre aux enchères les actions de Comatel dans le capital de Mattel et la société a eu les plus grandes difficultés pour faire invalider cette vente et sauvegarder l’intégrité de son capital.
Plainte bien fondée
Et la question se pose en effet : si, comme le prétend l’article, Béchir aurait toujours entretenu « des relations cordiales avec Tunisie Telecom dont les dirigeants successifs ne cachent pas le caractère décisif de ses interventions », pourquoi ont-ils aujourd’hui choisi de suivre plutôt les conseils de Bouamatou ?
Il est vrai que celui-ci est rigoureux en affaires. Chokri, l’auteur de l’article de la presse (qui sent fort le commandé) parle, lui, de « relations difficiles avec ses partenaires », évoquant notamment ses démêlés avec Tunisair dans l’administration de la précocement défunte Mauritania Airways. Mais l’article de notre confrère se garde bien d’évoquer le bien-fondé de la plainte du pointilleux partenaire. Les manquements – tout particulièrement en matière de sécurité – de Tunisair qui détenait seul la gestion de ladite société aéronautique furent épinglés par les plus hautes autorités internationales du secteur et la moindre des honnêtetés aurait été de signaler une nouvelle fois la lucide rectitude de Bouamatou, plutôt que d’en suggérer une intransigeance bornée à ses seuls intérêts.
« Tunisie Telecom », rappelle Chokri en exergue de son article, « cherche à lubrifier ses finances en cédant ses parts dans l’entreprise tuniso-mauritanienne ». C’est tout-à-fait dans son droit. Tout comme Bouamatou en sa volonté de ne pas laisser brader une affaire ni l’abandonner à d’incertains repreneurs. Et évidemment aussi celle de Béchir dont notre distingué confrère aurait dû exposer plus clairement les buts, plutôt que de s’appesantir sur d’alambiquées conjectures autour de la position de Tunisie Telecom collant aux thèses de Bouamatou. Un flou « littéraire » qui aura certes permis d’éluder l’existence d’un lourd contentieux financier (4) entre les deux hommes d’affaires guère de nature à faciliter « l’arrangement à l’amiable » auquel l’État mauritanien serait « favorable », conclut subtilement Chokri.
C’est cependant le « propre » des négociations entre capitalistes que d’alterner le chaud et le froid, entre apparents blocus et soudaines voltefaces. C’est d’autant plus vrai en terres d’islam où la quête du juste milieu – juste au sens d’exact, approprié à la situation, aussi injuste soit-elle… – constitue le privilège et la baraka des meilleurs.
Mais a contrario de notre confrère tunisien, nous ne nous abaisserons pas à tenter de traîner dans la boue qui que ce soit en cette affaire. Nous nous contenterons de nous être plus objectivement attachés à rendre aux faits un tant soit peu de leur consistance. Peut-être cela se révèlera-t-il, au final, plus propice à une solution vraiment convenable à toutes les parties ; à commencer par le peuple mauritanien, premier intéressé – est-il nécessaire de le rappeler ? – au développement harmonieux des activités de Mattel.
Ben Abdalla
NOTES
(1) : https://lapresse.tn/157768/tunisie-telecom-mauritanie-chez-mattel-les-affaires-tournent-bien-laffaire-tourne-mal/, publié le 08/05/2023 par Chokri ben Nessir, tout récemment nommé directeur de la Société Nationale d’Impression, de Presse et d’Edition (SNIPE). En sa qualité de sniper au service de d’éventuelles douteuses causes, puis-je présumer ?
(2) : On eût aimé que notre distingué confrère ait pris le temps de souligner les œuvres sociales de Mohamed ouldBouamatou, via notamment sa Fondation et, tout particulièrement, son hôpital ophtalmologique où tant de gens démunis trouvent réconfort et guérison…
(3) : C’eût été également la moindre honnêteté que de replacer l’exil de Bouamatou – et, a fortiori, les problèmes de Mattel – dans le cadre de l’acharnement d’Ould Abdel Aziz à se débarrasser, par tous les moyens – même les plus sordides – de celui qui l’avait tant aidé, depuis son coup d’État de 2008, à se faire accepter du peuple mauritanien et de la Communauté internationale…
(4) : Autour de la bagatelle de 5,5 millions de dollars de remboursements défaillants de trois sociétés contrôlées par Béchir El Hassan et sa famille envers la GBM, ainsi que le rapporte notamment Jeune Afrique. Voir https://www.jeuneafrique.com/1428376/economie/en-mauritanie-mohamed-ould-bouamatou-et-bechir-el-hassen-plus-brouilles-que-jamais/
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