Jeune Afrique - En Mauritanie, l’ancien président est jugé depuis le 25 janvier pour enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Avant que le procureur ne requiert, le 24 octobre, vingt ans de prison ferme contre « l’accusé numéro un », plusieurs témoins se sont succédé à la barre.
Ce 24 octobre, assis avec ses dix coaccusés dans une cage de fer de l’une des salles du palais de justice de Nouakchott, Mohamed Ould Abdelaziz a écouté le procureur sans dire un mot. Ce dernier a requis vingt ans de prison contre l’ancien président et la confiscation de l’ensemble de ses biens.
Ses anciens ministres ainsi que l’ancien patron de la Société mauritanienne d’électricité, la Somelec, risquent quant à eux dix ans de réclusion. Enfin, le gendre d’« Aziz » et les hommes d’affaires poursuivis dans le « dossier de la décennie » encourent chacun cinq ans de détention.
Le magistrat Ahmed Ould Moustapha a retenu des circonstances aggravantes et a estimé que l’ancien dirigeant s’était rendu coupable d’un crime. « On ne lui reproche pas seulement d’avoir piqué dans la caisse ! » justifie Me Brahim Ould Ebety, ancien bâtonnier et chef de pôle des avocats des parties civiles. « Il est accusé d’avoir utilisé le nom de l’État pour s’enrichir démesurément et, plus grave, d’avoir utilisé divers procédés pour blanchir et cacher cet argent, notamment par le biais de la fondation de son fils [décédé en 2015]. »
« On s’y attendait, c’est le rôle du parquet, réagit Taleb Khiyar Ould Mohamed, membre du collectif de défense de Mohamed Ould Abdelaziz. Notre client est soumis à toutes sortes d’atteinte à ses libertés individuelles depuis trois ans. Mais il est très serein, il savait qu’on ne lui ferait pas de cadeaux. »
Semaines mouvementées
Ce procès pour, entre autres, blanchiment d’argent et enrichissement illicite, ouvert le 25 janvier, se poursuit dans une relative discrétion. Faute de retransmission en direct, les médias étrangers ne le couvrent pas, et les chefs d’État et les ministres de la sous-région ne s’y intéressent pas non plus. Beaucoup ignorent ainsi que Mohamed Ould Abdelaziz et ses anciens collaborateurs ne comparaissent pas libres.
Le parquet ayant estimé qu’il y avait un risque de fuite, il les a de nouveau arrêtés le 24 janvier, et les accusés se trouvent aujourd’hui incarcérés dans des appartements de Nouakchott. Les proches de l’ancien président continuent de dénoncer les conditions de sa détention : strictement enfermé, Aziz n’aurait pas la possibilité de prendre l’air.
Ces dernières semaines ont été un peu mouvementées : les avocats d’Aziz ont une nouvelle fois décidé, le 9 octobre, de quitter l’audience. Ils protestaient contre le refus du tribunal de citer de nouveaux témoins à comparaître, estimant que les droits de la défense n’étaient pas respectés. Le camp adverse assure que cette demande aurait dû être faite dès l’ouverture du procès.
Le collectif souhaite que plusieurs responsables actuels soient convoqués, parmi lesquels Moctar Ould Diay. Le ministre d’État et actuel directeur de cabinet de Mohamed Ould Ghazouani, fut le ministre de l’Économie et des Finances d’Ould Abdelaziz, mais aussi le patron de la Société nationale industrielle et minière (Snim). Il a été relaxé dans le cadre de cette affaire.
Trois témoins à la barre
Grâce à une médiation menée par le bâtonnier Bouna Ould El Hacen, les conseils de l’ancien président ont fait leur retour le 23 octobre. Le lendemain, ils ont finalement appelé plusieurs témoins à la barre, à commencer par l’ancien ministre de la Justice, Haïmoud Ould Ramdane.
Ce dernier a déclaré que non seulement Mohamed Ould Abdelaziz ne pouvait pas être poursuivi, étant protégé par l’article 93 de la Constitution qui lui garantit une « immunité absolue », mais aussi que le rapport de la commission d’enquête parlementaire n’était pas fondé. Le juge a alors brandi un courrier estampillé « confidentiel », que l’ancien garde des Sceaux avait transmis, au mois d’août 2020, au procureur général afin de lui demander d’engager des poursuites.
Puis, Sidi Ould Salem, l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, s’est présenté à son tour, afin de balayer les charges retenues contre son ancien patron. Les avocats des parties civiles lui ont reproché d’avoir obtenu une licence de pêche au nom d’une société inscrite à son nom, quelques jours avant la fin du mandat de Mohamed Ould Abdelaziz. Celui qui fut aussi le directeur de campagne de ce dernier lors de la présidentielle de 2014 aurait aussi déclaré qu’il n’avait pas relevé d’excédent de financement de campagne. Or l’ancien président justifie notamment son colossal enrichissement par des cadeaux de chefs d’État étrangers, mais aussi par le reliquat de donations qui lui ont été faites en période électorale.
Enfin, l’ancien ministre des Sports, Mohamed Ould Jibril, s’est exprimé en tant que président d’un parti soutenant l’ancien président de la République. Mais il a été récusé par la cour, qui a estimé que les témoignages devaient reposer sur des éléments précis et ne pouvaient pas être seulement politiques. Les plaidoiries de la défense devraient débuter le 30 novembre – le procès va désormais se dérouler deux jours par semaine, les lundis et mardis. Et le verdict est attendu courant novembre.
Par Justine Spiegel
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